VIEILLE TOUR
Tremble au-dessus des fouilles
la tour démantelée,
ses douves aux grenouilles
offrent l’eau étoilée.
D’ombre, ses plis se rouillent,
devenus mausolée
tous ses siècles s’embrouillent
en une ronde ailée.
Ô beauté des ruines,
vos larmes se font pleurs,
et vos glacis, épines.
Qui donc a pu écrire,
les affres sont douleurs
lorsque la pierre expire ?
Robert Hugues BOULIN
VERTS PARADIS
Les souvenirs, à chaque âge sont doux.
Déjà, l’adolescent
revit avec émoi ses amours enfantines.
Un kaléidoscope
aux facettes diaprées,
remet en sa mémoire
en mélange subtil
des bougies de Noël, gâteaux d’anniversaire,
époques de vacances, dissimulant
sans peine, en s’y superposant,
l’inquiétude de jours
précédant l’examen !
L’adulte, lui,
se rappelle l’adolescence :
insouciance, gaieté, amourette, aventure
(avec ou sans majuscule… )
Parfois, avec émoi, un grand amour perdu ;
les copains, les amis
dont quelques-uns subsistent.
Mais avec la vieillesse,
le souvenir
prend bien plus d’importance.
Il aide à surmonter l’ennui,
l’isolement.
Il donne une raison au mot :
exister.
Une musique, un lieu, un parfum,
Une lettre jaunie, une photo
permettent de rêver quelques heures
et de laisser passer
un peu
de ce temps à la fois si long
et si court, au bout duquel attend
la mort.
J.J. BLOCH
ROMANCE TRISTE
Un rideau de verdure
Sur tes cheveux épars
Au cœur de la nature
Qui voilait nos regards.
La biche solitaire
S’éclipsait chaque fois
Sous un rai de lumière
Irisant tout le bois.
Dans le jour qui expire
S’envolent les attraits
De ton dernier sourire,
En mon cœur, à jamais…
Si l’espoir de ma vie
Demeure évanoui,
Reste-t-il quelque envie
Dont mon âme a joui ?
Ô sereine nature,
Sois le secret tombeau
D’une amitié trop pure :
Souvenir triste et beau…
Liliane CODANT
LE DEFILE DES TISSUS
Une prison dorée.
Un coffre de palissandre violet.
Un parfum de vétiver suranné.
Un décor de vieux meubles patinés, à réparer.
Un calme, comme plus d’un en voudrait :
Une prison reste pourtant une prison, même dorée !
Fatigués d’être sagement pliés
Dans le noir,
Ils feront du jamais-vu !
C’est ce soir,
Qu’aura lieu – juré ! –
Leur défilé.
Le défilé des issus.
"La soie, c’est moi !"
Dans un froissement léger,
La voilà
Pomponnée à souhait
Qui apparaît,
Comme une fée.
Elle ouvre le défilé.
La moire,
Dans son grand fourreau noir
En se déhanchant froufroute.
"Je voudrais coûte que coûte
De la lumière pour mes reflets !"
Et sa traîne de taffetas
Craque à chacun de ses pas.
Arrive alors le lourd velours
Un tantinet balourd,
Mais doux, si doux !
Si doux que soie et moire dans un froufrou
Lui saute au cou
Le tulle léger comme une bulle
De savon noctambule, en ces termes affabule :
"Faute d’être une moustiquaire,
je serai le mousquetaire
Tout aéré du défilé !"
La popeline dodeline
Elle n’a plus tout à fait vingt ans
Mais son petit col Claudine
A toujours beaucoup d’allant
Comme une étrange méduse
L’organdi, lui, s’amuse
En transparence à montrer
Les contours à peine voilés
De sa nudité.
Et son paysan de cousin,
Le riche mais rustre basin
Vient de lui marcher
Le vilain, sur les pieds !
L’ottoman aux rayures serrées
Paraît un peu strict, il est vrai.
Personne ne sait – chut – qu’il chique.
On ne voit toujours que son chic.
La cretonne un peu sauvageonne
Les pieds dans ses gros sabots
Avec le kaki fanfaronne
Tant son uniforme est beau !
Douce et pâle, la percale
A toujours un peu de mal
A exhiber ses atours
De coton, aux alentours.
Pas méchant pour deux sous
Grand habitué des dessous
Le satin en Arlequin
A un petit air coquin.
La rayonne, telle un soleil
A nulle autre beauté pareille
A une envie de Carmagnole
Ou de paso doble espagnol !
Venu spécialement de Chine,
Le crêpe aux petits yeux gansés,
Prend le bras de sa voisine
"Mousseline" justement nommée.
Et le défilé des tissus
Dura jusqu’au petit matin.
Mais sachez que le jour venu
Le coffre se retrouva plein !
L’ennui, comme chacun sait
Vient de l’uniformité.
Le plaisir vient chaque fois
Qu’on fait ce qu’on ne faisait pas…
Huguette Payet
COULEURS DU TEMPS
Les années laissent souvent les choses
Prendre couleur d’humilité.
L’écorchure guérit,
Le bleu à l’âme pâlit.
C’est miracle du temps.
Les années rincent les cœurs,
Lavent les blessures.
Tiens-moi la main,
Viens faire le plein
Des saveurs, des souvenirs déteints.
Micheline BOLAND
ERMENONVILLE
Je déambule
Sur les pas d’un promeneur solitaire
Je rêve d’une seconde vie
Sur les traces de Gérard de Nerval
L’abbaye de Chaalis
M’offre ses cellules depuis longtemps désertées par les moines
Tentures luxueuses, soyeuses tapisseries
Riches coussins, confortables fauteuils
Une galerie est peuplée d’ombres célèbres
Les braseros cuivrés de l’orient flamboient
Les bleus et ors de Turquie se marient
Alentour les peupliers frissonnent sous le vent
Qui disperse les cendres
Une chapelle lumineuse jouxte une roseraie
Qui grimpe insensiblement du rose pâle au pourpre
Les fleurs sont éphémères
Mais le souvenir dure
L’esprit de Jean-Jacques Rousseau
Plane toujours sur les eaux.
Marie-Noëlle HOPITAL
Après tant d’années ensemble… Même après ton départ…
SOUVENIR DE TA MAIN DANS LA MIENNE
BONHEUR D’ÉTERNITÉ
Lorsque main dans la main, nos doigts s’entrecroisaient
Que ce geste d’amour était "bonheur donné"
Ils formaient comme un pont à nos cœurs en émoi
Et ce doux souvenir… sommeille au fond de moi.
Sur le même chemin nous marchions pas à pas
Ta main croisant la mienne… nous tombions dans les bras
Et les bras dans les bras, nous formions une chaîne
Dont je garde tendrement, toute la chaleur humaine.
Comme une promesse d’amour, dite avec nos mains
Qui pendant tant d’années ont fait "même chemin"
Chaque jour avec bonheur, nos mains soir et matin
En se croisant les doigts, éclairaient nos destins.
Je sens ta main ce soir, …je suis là et frissonne… !
…Je cherche… je t’appelle… es-tu là ? Non personne
Solitude infinie… silence… Ô pauvreté !
Pourquoi mes doigts encore, cherchent les tiens croisés… !
Car ta main
Dans ma main
Reste "un bonheur donné"
Qui sera à jamais
"Bonheur d’éternité"
Marie DAVID C.
LA CHANSON DE MAYA
Je ne te verrai plus danser pour un noël,
Un réveillon ultime où l’espoir cristallise
Un sourire, une joie en pérenne arc-en-ciel.
Savais-tu qu’ici-bas, l’été même agonise ?
Les accents de ta voix, enfuis sans un écho,
Ne feront plus vibrer les dimanches, les fêtes ;
Plus jamais un appel, un rire ou un sanglot,
Un secret doux-amer partagé en cachette.
Mais il suffit pourtant de clore son oreille
Aux rumeurs enfiévrées de ce monde en chaos,
Pour que l’île mémoire au souvenir s’éveille
Et ton chant nous parvient, dans le silence éclos.
Il nous confie, Maya, quel étau de souffrance
A libéré ton cœur de ses futilités ;
Tu cherchais le bonheur avec impatience
En te cognant aux murs d’illusoires étés.
Je t’entends murmurer, les yeux pleins de soleil :
Le bonheur se décline entre ÊTRE et AIMER,
En savourant sa vie comme don sans pareil ;
C’est la seule harmonie, au divin, accordée.
Monique Mérabet
LE PARFUM DU TEMPS PASSÉ
Que le silence au ciel d’un instant d’infortune
Moire un parfum fané, un arôme oublié
Ou que l’esprit croit tel, chérissant la lacune
Quoique sous le fumet vibre le corps entier
Que vienne en l’air du temps tout un passé motile
Tous les songes d’hier en leurs habits diaprés
Marquent comme un suspens dans la fuite futile
D’oisives horloges à moments timorés
Nonobstant le présent et sa morne figure
Éclosent, tels une fleur, les fols souvenirs
Que fige au firmament l’ancestrale guipure
D’aubes renouvelées, de vécu sans mourir.
Pascal Lecordier
MÉLANCOLIE
Mélancolie du temps qui passe,
Souvenirs que l'on ressasse,
Espoir dans l'avenir,
Confiance dans l'amour et le sourire.
Jeunesse et premier amour,
Tendresse des jours passés et à venir,
Promesse d'un toujours,
Fidélité au cœur des souvenirs.
Volupté des corps enlacés,
Force et fierté d'un tel amour,
Fruit de ce toujours,
Un enfant nous est né.
Ainsi va ma plume follement,
Mon âme vagabonde ardemment,
Chassant vaillamment,
Au fond du cœur tous ses tourments.
Tristesse n'est pas de mise,
Va-t-en, je ne veux pas de toi !
Mon cœur, mets ta plus belle chemise,
Habille-toi, danse et emmène-moi...
Françoise DETHY
Maison qu'on a fermée,
Maison vendue à d'autres vies,
De nouvelles mémoires
Vont s'y enraciner
Et devenir en vieillissant un peu de poésie.
On repasse parfois le long des murs
Comme un voleur,
Sans oser regarder
Par la porte entrouverte,
De peur que tout soit trop changé.
Et ce n'est que le soir
Que le vieil homme attend qu'une haute fenêtre,
Se remplisse soudain de lumière étrangère.
C'était là-haut que naissaient les poèmes,
D'un timide Narcisse enchanté par lui-même.
André Henry
Ai-je rêvé dans mon enfance
D'un pays avec tant de ciel
Jetant aux horizons des semences d'espoirs,
Pour avoir encor de la vie
Cette récolte à vendanger ?
Que ma fenêtre s'ouvre au vent,
Aux mains brutales gantées d'or
Des automnes de faste où flambent le déclin ;
Et que les cris d'oiseaux fuyards
Déchirent surtout mon silence.
Après les comices d'été
Où s'emballaient, gonflés de sang,
Les chevaux mal dressés de mes juillets d'adulte,
Les oriflammes en lambeaux
Claquent quand même fin d'octobre.
Henry Meillant
LES MAINS DE MON PÈRE
Lorsque j’étais gamin,
Mon père de ses propres mains
Fabriquait tout ce dont j’avais besoin.
Rien ne lui résistait,
Sa fertile imagination travaillait,
Ses mains habiles exécutaient.
J’ai le souvenir d’un meuble décoré de clous,
Faisant l’objet d’une table pour station debout,
Elle était pratique et me plaisait beaucoup.
Dans son petit atelier,
Toujours je l’ai vu bricoler,
Il avait, un tricycle, inventé,
Adapté aux mouvements incontrôlés
De mon corps handicapé…
Pendant de nombreuses années,
J’ai eu les jambes appareillées,
Mes soutiens étaient souvent cassés,
Mon père a toujours tout su réparer.
Toucher à tout, il sait,
Et avec quelle dextérité !
Rien ne semble l’arrêter.
Grâce à lui, je ne connais pas le cordonnier,
Ni figaro le perruquier,
Il sais mes cheveux tailler,
Mes chaussures ressemeler,
Ma machine à écrire réparer,
Ainsi que mon cœur, souvent effiloché.
Depuis mon plus jeune âge,
Je sais que chez lui, tout est courage
Et que ses belles mains ne sont pas des mirages.
Christian Blanchard